L’histoire haute en couleur de la pièce de 10 cents

Avant le Bluenose

Pour aller au fond de l’histoire, il faut remonter jusqu’au tout début. Dans le cas de la pièce de 10 cents, cela nous amène en 1870, l’année où la frappe des pièces pour le Dominion du Canada est confiée à la Royal Mint en Grande-Bretagne.

De la fin des années 1800 jusqu’en 1937, les pièces de 10 cents frappées pour le Dominion du Canada comportent une couronne de feuilles d’érable attachées au bas par un ruban et surmontées d'une couronne. Elles gardent cette apparence du règne de la reine Victoria à celui du roi George V.

Il faut attendre 1936, à la mort de ce dernier et à l’arrivée du roi Édouard VIII, pour que la Monnaie royale canadienne ait l’autorisation de moderniser les motifs au revers de ses pièces de monnaie.

Un concours est lancé avec la condition pour les artistes de concevoir un motif représentatif du pays sous le thème, par exemple, de la nature, des animaux ou de l’industrie. Finalement, deux artistes sont retenus, et la représentation du légendaire Bluenose canadien par Emanuel Hahn se taille une place permanente sur la pièce de 10 cents.

Le démarrage timide de la goélette de course

Les travaux sur la nouvelle série de pièces de 1937 devant porter le Bluenose vont bon train, mais le public doit patienter encore un peu avant son lancement. En effet, l’abdication d’Édouard VIII à la fin de l’année 1936 s’accompagne de plusieurs changements : les nouveaux motifs « canadiens » doivent partager l’affiche avec le roi George VI.

En attendant que les matrices des pièces à l’effigie du nouveau roi arrivent d’outre-mer, les réserves de pièces de 10 cents se tarissent. On prend donc une mesure d’urgence : les pièces de 1936 à l’effigie du feu roi George V sont émises, mais marquées d’un petit point distinctif sous le ruban qui noue la couronne de feuilles d’érable.

Cette caractéristique lui vaut le nom de « pièce de 10 cents de 1936 marquée d’un point  ». Elle devient par la suite l’une des plus rares pièces canadiennes jamais produites. À ce jour, seulement six exemplaires ont refait surface, et l’un d’entre eux a été acquis pour une coquette somme de plusieurs milliers de dollars.

Qu’est-il advenu des autres pièces de 1936 marquées d’un point? Les recherches se poursuivent…

La naissance du Bluenose

Finalement, la nouvelle pièce de 10 cents est produite en 1937. Les fiers Néo-Écossais déclarent bien vite le nouveau motif comme étant le célèbre Bluenose, même si les documents officiels ne font état que d’« une goélette de pêche, voiles déployées », sans aucune mention du nom.

Le débat fait rage pendant des années, jusqu’à ce qu’un jour, des photographies du patrimoine d’Emanuel Hahn fassent surface, prouvant que l’illustre sculpteur avait bel et bien pris le Bluenose pour modèle. La description officielle de la pièce est alors modifiée en 2002 pour inclure la mention de ce navire de course mondialement connu. 

Les pièces rehaussées d’une feuille d’érable

C’était en 1948, malgré ce qu’indique la pièce. La pièce de 10 cents Bluenose circule depuis un peu plus d’une décennie quand l’Inde et le Pakistan obtiennent leur indépendance en 1947. Pour le Canada, ce changement signifie que l’inscription latine ET IND:IMP: doit être retirée de l’avers des pièces de circulation, car le roi n’est alors plus Empereur des Indes.

Il faut compter des mois avant de recevoir les nouveaux outils prototypes de la Royal Mint, en Grande-Bretagne, et la demande de pièces est forte. La solution? Continuer à produire les pièces millésimées 1947, mais en ajoutant une petite feuille d’érable après l’année pour identifier les pièces portant la mention obsolète. Cette marque ne figure que sur les pièces de circulation émises en 1948.

Les pièces du centenaire du pays

La prochaine modification des motifs des pièces de circulation canadiennes survient 30 ans après la première. En effet, c’est en 1967, dans le cadre des célébrations du centenaire de la Confédération, que le célèbre artiste canadien Alex Coville leur donne un nouveau souffle.

Chaque pièce de circulation émise cette année-là arbore une image simple, mais marquante, de la faune canadienne. La pièce de 10 cents présente un maquereau.  Fidèle à lui-même, Alex Colville a choisi ce poisson non seulement pour sa belle silhouette fuselée, mais aussi pour l’idée cachée qu’il véhicule : il représente la pérennité.

Pour en découvrir toute la signification, il faut aller plus loin, jusqu’en mer, où d’énormes bancs de maquereaux nagent jusqu’à la côte est, puis la longent vers le nord : une source de nourriture abondante qui assure la pérennité des populations côtières depuis des centaines d’années.

L’année 1967 est aussi celle du changement dans la composition des pièces canadiennes : la proportion d’argent passe de 80 % à 50 %. La composition change encore en 1968 pour inclure du nickel.

La pièce des philanthropes

Dans les années 1950, la pièce de 10 cents aide aussi à la survie de nombreuses familles touchées par la polio.

À l’époque, cette pièce offre un pouvoir d’achat supérieur à celui d’un dollar d’aujourd’hui, et partout au Canada, des mères se mettent à les récolter porte à porte pour financer la recherche d’un traitement. Cette Marche des dix sous contribue directement au développement d’un vaccin, mais les mères ne se contentent pas de cette réussite. Elles poursuivent leurs efforts pour bâtir un réseau de soutien destiné aux personnes ayant un handicap physique, réseau qui existe encore de nos jours.

En 2001, le travail philanthropique des Canadiens équivaut à 578 000 emplois à temps plein. Pour souligner l’Année internationale des bénévoles, un motif commémoratif spécial est gravé sur la pièce de 10 cents : une représentation numismatique des « mères en marche » originales, accompagnées de rayons de soleil signifiant l’espoir que la philanthropie apporte dans le monde.

Une pièce de 10 cents conçue et choisie par les Canadiens et Canadiennes

Pour Amy Choi, de Calgary, en Alberta, l’espoir réside dans les idéaux canadiens de paix, de coopération et de diversité. En 2015, son motif fait partie des 10 000 propositions reçues dans le cadre du concours Mon Canada m’inspire pour le 150e anniversaire du pays.

La pièce de 10 cents, aujourd’hui la plus petite des pièces canadiennes, est alors ornée de l’œuvre d’Amy Choi. Intitulée Les ailes de la paix, elle représente son espoir qu’un jour, la feuille d’érable soit aussi symbolique que la branche d’olivier. Amy Choi est d’ailleurs la toute première femme à avoir conçu un motif gagnant pour la pièce de 10 cents canadienne. Vous pouvez écouter sa description ici .

Qu’en est-il du 125e anniversaire du Canada? En 1992, toutes les pièces de circulation du pays gardent leur motif classique, mais sont ornées d’une double date : 1867-1992. L’inscription « 1867 » est frappée à gauche du Bluenose, et « 1992 », à droite.

Retour aux sources

L’année 2021 marque le 100e anniversaire de la mise à l’eau du Bluenose, la goélette de pêche des Grands Bancs dont les exploits de course et l’esprit indomptable lui ont valu le titre de « reine de l’Atlantique Nord ».

Quel meilleur moyen d’honorer la mémoire de notre Bluenose adoré que de reprendre son motif et d’en faire la toute première pièce de 10 cents colorée du Canada?

En ce centième anniversaire, le Bluenose est toujours présent dans le cœur (et les porte-monnaie) des Canadiens, ainsi que sur la pièce de circulation commémorative de 10 cents 2021. Cette pièce spéciale revisite une image qui nous est familière. On y voit le Bluenose fraîchement achevé et mis à l’eau, voiles gonflées par le vent, filant sur les eaux bleues dans toute sa splendeur.

Ne cherchez pas seulement la version colorée : une version sans coloration du même motif ainsi qu’une version à double date de la pièce Bluenose classique ont également été lancées, ce qui fait un total de trois pièces commémoratives de 10 cents en 2021!