L’héritage d’Oscar : Andy Milne perpétue la tradition en inspirant de nouveaux artistes
- 31 août 2022
- Histoire
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Andy Milne comprend bien la responsabilité qui accompagne le rôle de mentor. Pianiste et compositeur accompli ayant grandi au Canada, ce musicien lauréat de deux prix Juno est aussi professeur à l’Université du Michigan. Celui qui baigne dans le monde du jazz depuis les années 1990 – enregistrements, tournées, collaborations avec des artistes de toutes disciplines – a acquis la majeure partie de son expérience à New York, au Canada et en Europe.
Andy Milne comprend bien la responsabilité qui accompagne le rôle de mentor. Pianiste et compositeur accompli ayant grandi au Canada, ce musicien lauréat de deux prix Juno est aussi professeur à l’Université du Michigan. Celui qui baigne dans le monde du jazz depuis les années 1990 – enregistrements, tournées, collaborations avec des artistes de toutes disciplines – a acquis la majeure partie de son expérience à New York, au Canada et en Europe.
Depuis des années, en tournée comme en classe, directement ou indirectement, Andy inspire d’innombrables musiciens en herbe. À l’instar d’Oscar Peterson qui – en tant qu’artiste et mentor – lui a insufflé l’amour du jazz, Andy perpétue cet héritage en transmettant sa passion aux autres.
Tout juste après une tournée nord-américaine, Andy a accepté de nous parler de son expérience comme élève d’Oscar, de sa propre carrière musicale et de son rôle dans la création de notre dernière pièce de circulation commémorative, qui rend hommage au legs de son mentor.
Vous avez eu Oscar comme professeur à l’Université York. Comment c’était, d’être l’élève d’un géant du jazz comme lui?
De bien des façons, c’était un rêve devenu réalité, parce que c’est lui qui m’a donné le goût de jouer de la musique. Être ne serait-ce que deux minutes avec lui dans une pièce, pour qu’il me pousse à écouter plus attentivement, à pousser la réflexion sur quelque chose ou simplement à m’exercer davantage… C’était une expérience incroyable; c’est comme un camp d’entraînement auquel on peut se reporter. Oscar était très généreux, et c’était fantastique d’avoir la chance d’apprendre de lui.
Aujourd’hui, que retenez-vous en particulier des enseignements d’Oscar?
Ce que j’ai vraiment retenu, c’est « apprends le morceau; apprends la musique ». Il le disait de manière très terre à terre. C’est ce ton qui m’a marqué, comme s’il portait le poids de toute sa carrière. C’était difficile à ignorer. Je me souviens que j’ai repensé à cette phrase pendant un mois, en me demandant « mais qu’est-ce que ça veut bien dire? ». Puis j’ai compris. Je me souviendrai toujours de cette leçon.
Comment décririez-vous Oscar en un mot?
Élégance.
Comment les conseils d’Oscar ont-ils influencé votre propre musique et carrière?
Il m’a appris certaines choses sans me les avoir enseignées directement. J’ai appris de lui en lisant des articles à son sujet ou des entrevues, mais aussi en observant ce qu’il faisait, même les choses dont il ne parlait pas en classe.
Il m’a appris, sans s’en rendre compte, des choses qui m’ont donné le courage de réaliser certains projets et de les envisager comme faisant partie intégrante de la tradition du jazz dont j’émergeais, sans remettre en question leur intégrité ou leur valeur. Je ne pense pas qu’il l’a fait consciemment, mais il m’a aussi montré sa polyvalence et sa curiosité presque enfantine. C’était (et ça reste) pour moi une source de force.
Vous êtes maintenant vous-même un enseignant. Qu’est-ce que ça fait, de transmettre la tradition du jazz à une nouvelle génération de musiciens?
Ça nous tombe dessus. J’ai sûrement plus à offrir aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Je m’en souviens dans ces moments magnifiques où j’enseigne. C’est un grand privilège de faire profiter les étudiants de mon expérience, de le faire d’une façon dynamique et utile, en les accompagnant, et de pouvoir écouter tout autant que transmettre. Mais on a aussi derrière soi tous ces grands musiciens qui nous ont construits, même indirectement – des personnes que l’on n’a jamais rencontrées, mais dont la musique nous a appris plein de choses. C’est là qu’on réalise : « Oh, mon Dieu, je suis l’un d’entre eux : je suis sur la scène, je fais partie de ces mentors. » C’est une lourde responsabilité.
Si vous deviez faire découvrir la musique d’Oscar Peterson à quelqu’un pour la première fois, quel album ou morceau recommanderiez-vous et pourquoi?
Le premier album que j’ai eu en ma possession était probablement Night Train, un très bon album qui comporte beaucoup de morceaux très représentatifs de sa musique. Il a également collaboré à d’excellents morceaux avec Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Ce sont également des œuvres incroyables. L’une des choses importantes à propos de l’héritage musical d’Oscar dans le milieu du jazz, c’est qu’il réussissait à intégrer à un trio quelqu’un d’aussi virtuose et omniprésent que Art Tatum. C’est pour ça que Night Train est aussi bon; cet album enregistré avec son trio est intemporel. C’est le cas aussi des duos qu’il a faits, parce qu’on voit qu’il était capable d’entretenir de grandes conversations musicales, une belle camaraderie et une belle solidarité avec ses collaborateurs.
Vous avez récemment gagné votre deuxième prix Juno pour l’album de jazz de l’année, un prix qu’Oscar a aussi eu l’honneur de recevoir. Pouvez-vous nous parler un peu de la création de votre album The reMission?
L’élément déclencheur, en quelque sorte, a été ma tournée avec le nouveau groupe que j’ai formé en 2017 (Andy Milne and Unison), mais ça faisait déjà quelques années que je travaillais sur le concept de l’album. Pris comme une entité autonome, un trio est quelque chose d’immense, que j’ai longtemps évité. J’ai pourtant participé à beaucoup de projets encore plus gros et différents, parfois même insolites, mais je repoussais toujours la formation d’un trio. Puis, en 2017, on m’a diagnostiqué un cancer. J’ai tout mis sur la glace pour me concentrer là-dessus et j’ai réduit mes autres activités. Ce qui en est ressorti, artistiquement, c’est l’idée qu’il était peut-être temps de former un trio. Alors, c’est ce que j’ai fait.
En 2019, je faisais une courte tournée avec le trio. Nous étions sur la route et je venais de gagner un prix Juno avec mon groupe Dapp Theory pour l’album The Seasons of Being. Comme c’était mon œuvre la plus récente, je la vendais pendant la tournée. Mais ce n’était pas la musique que les gens entendaient pendant nos concerts. C’était un peu étrange. Nous étions dans une phase un peu floue. À la fin de la tournée, j’ai réservé un studio à New York et j’ai dit : « Enregistrons cet album maintenant que nous avons eu le temps de peaufiner la musique sur la route. »
C’est ce qui m’a donné le coup de pouce pour créer cet album. Mais en y repensant, c’était surtout une réaction artistique à ce que j’avais vécu dans ma vie personnelle. Je n’aurais peut-être pas eu l’impulsion de former un trio si je n’avais pas été forcé de réévaluer ma vie. Je crois que cet album est vraiment le fruit d’une réflexion sur ce qui s’est passé dans ma vie de 2016 à 2019.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez gagné ce prix Juno?
L’album est sorti au printemps 2020, ce qui, bien sûr, était le pire moment pour un lancement. Nous ne pouvions pas partir en tournée pour en faire la promotion comme prévu. L’album a reçu de très bonnes critiques, mais on ne pouvait rien en faire, et chacun a continué sa vie de son côté.
Quand nous avons gagné le prix Juno, c’était une récompense incroyable, mais aussi une reconnaissance de l’expérience que j’avais vécue et du travail que j’avais fourni. Le fait de gagner mon deuxième Juno à ce stade-là de ma vie, plutôt que quand j’étais plus jeune, avait une importance particulière pour moi. J’ai enregistré tellement d’albums, j’ai fait tant de projets et j’ai eu le plaisir de collaborer avec tellement de musiciens; ce prix reconnaissait un peu tout ce cheminement-là. Pour celui-là, c’était merveilleux d’être récompensé, parce que je pensais que l’album allait tomber dans l’oubli.
Bien que vous soyez très occupé, vous avez pris le temps de collaborer avec nous sur la création du nouveau motif de la pièce de circulation commémorative Oscar Peterson. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle dans ce processus et sur votre expérience?
La Monnaie m’a consulté pour déterminer comment la notation musicale du morceau Hymn to Freedom d’Oscar serait représentée sur la pièce. C’était une première pour moi, parce que je n’avais jamais participé à la création du motif d’une pièce. Cependant, j’avais déjà à maintes reprises conçu les pochettes de mes propres CD. C’était l’expérience la plus proche de la conception d’une pièce que j’avais. Seulement, une pièce est de la taille d’une vignette de CD, peut-être même plus petite. Et nous n’avions qu’une fraction de cet espace pour la notation musicale.
C’était intéressant de réfléchir à la façon dont nous allions articuler l’information sur la partition. C’est difficile, parce qu’il y a beaucoup de manières différentes d’écrire le jazz selon la région. Des normes existent, mais il y a beaucoup de petites variations embêtantes. J’espère que mes efforts ne passeront pas inaperçus. Il n’y a pas de paroles dans ce motif, les notes doivent donc parler d’elles-mêmes.
Que représente pour vous l’hommage à Oscar sur une pièce?
Je pense qu’Oscar est devenu un artiste en même temps que le Canada a posé le pied sur la scène internationale. Il fait partie d’une génération de Canadiens qui ont joué un rôle important dans l’exportation de la culture et de l’excellence canadiennes. C’est certainement l’une des personnes qui m’a le plus influencé au cours de ma vie, et c’est sûrement aussi le cas pour toute une génération à l’étranger.
Je pense que si l’influence d’Oscar est aussi bien ancrée, c’est grâce à son talent et à sa capacité de naviguer dans le paysage médiatique et culturel, surtout au début de sa carrière. Sa personnalité et son attitude lui ont ouvert de nombreuses portes. À la télévision, il perçait l’écran. Sympathique, très drôle et éloquent, il avait en plus beaucoup d’esprit. Il pouvait s’asseoir pour expliquer n’importe quoi et était capable de soutenir des conversations avec les gens. C’est bien que quelqu’un comme lui soit représenté sur la pièce; ça évoque une époque centrée sur la création d’une grandeur et d’une spécificité canadiennes. Le fait qu’il soit une personne de couleur rend ce moment-là encore plus important, et l’on peut être fier de le célébrer.
Quelle est la suite des choses pour vous? Avez-vous des projets ou des plans?
Je travaille actuellement sur le tournage d’une série télévisée à Toronto en tant que directeur musical. J’ai également une commande pour le Centre des arts de Banff dans le cadre de la compétition internationale de quatuor à cordes : je dois écrire un quintette pour le quatuor gagnant. Ce sont des musiciens incroyables; c’est donc un grand honneur pour moi de composer un quintette que je jouerai ensuite avec eux. J’ai hâte de m’atteler à la tâche cet automne. Je viens aussi d’enregistrer un album avec mon trio, Unison, à la fin de notre tournée. Je veux prendre le temps d’écouter les enregistrements, avant de planifier le mixage et de décider de la date de sortie.
Voilà les trois choses qui m’attendent. J’arrêterai d’enseigner pendant un semestre pour pouvoir travailler là-dessus. Je suis reconnaissant et je me sens choyé d’avoir une vie si remplie et de pouvoir rendre justice à toutes ces occasions.
10 endroits incontournables à Montréal si vous aimez Oscar Peterson
Oscar Peterson, le célèbre pianiste et compositeur mis à l’honneur sur notre dernière pièce de circulation commémorative, est né et a grandi à Montréal (Québec). Cette ville connue pour sa scène jazz a joué un rôle important dans son parcours musical, qu’on pense aux airs entendus dans la Petite-Bourgogne pendant son enfance ou aux premières salles de spectacles où il s’est produit – et où il a ensuite percé.