Un moment immortalisé , un mystère résolu
- 31 janv. 2019
- Histoire
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Un soldat canadien jette un regard nerveux par-dessus son épaule, en réponse à une tape d’encouragement dans le dos que lui donne un camarade alors qu’il s’apprête à débarquer d’une péniche à Juno Beach. Ce bref instant, immortalisé dans une rare vidéo prise durant le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, a inspiré le motif du dollar épreuve numismatique en argent 2019 de la Monnaie royale canadienne.


Débarquement de Normandie, le 6 juin 1944. Le Jour-J
Un soldat canadien jette un regard nerveux par-dessus son épaule, en réponse à une tape d’encouragement dans le dos que lui donne un camarade alors qu’il s’apprête à débarquer d’une péniche à Juno Beach. Ce bref instant, immortalisé dans une rare vidéo prise durant le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, a inspiré le motif du dollar épreuve numismatique en argent 2019 de la Monnaie royale canadienne.
Pour souligner le 75e anniversaire du jour J, la Monnaie a voulu créer une pièce rendant hommage à tous les Canadiens qui ont pris d’assaut les plages de la Normandie, en France – contribuant ainsi à changer le cours de la Seconde Guerre mondiale. En visionnant les images du jour J, qui montraient le visage de ce soldat empreint à la fois de courage, de peur et de détermination, Alicia Cook Sapene et Jamie Desrochers ont tout de suite su qu’ils avaient trouvé la scène idéale pour le dollar épreuve numismatique en argent de cette année.
« C’est une image extrêmement émouvante, car elle nous montre le jour J d’un point de vue humain, explique Alicia Cook Sapene. Ce jeune homme hésite à débarquer de la péniche et il reçoit le soutien dont il a besoin pour continuer. »
En s’inspirant de ces images et du logo de l’Association Centre Juno Beach (ACJB), l’artiste de la Monnaie Tony Bianco a conçu un motif recréant cette scène. On y voit un soldat rappelant vaguement celui du film, qui représente tous les soldats canadiens et pourrait orner diverses pièces en l’honneur du débarquement de Normandie.
Et à peine quelques semaines avant le lancement de la pièce épreuve numismatique en argent, Alicia Cook Sapene a appris quelque chose qui allait changer la façon dont elle et Jamie Desrochers percevraient la pièce : le nom du soldat.
LE DÉBUT DE L’OBSESSION
Un jour, l’ACJB a inopinément envoyé un article à la Monnaie qui révélait l’identité du soldatdans le film, celui-là même qui avait inspiré la pièce : il s’agissait du soldat Baker, membre d’une compagnie du North Shore Regiment du Nouveau-Brunswick. Même si le lancement de la pièce approchait à grands pas, l’équipe savait qu’elle devait saisir cette occasion. Tant de questions demeuraient sans réponse : le soldat Baker avait-il survécu à la guerre? Était-il toujours en vie? Avait-il une famille?
« Après avoir appris son nom, tous les membres de l’équipe de la Monnaie étaient investis d’une mission, explique Alicia Cook Sapene. Nous étions tous légèrement obsédés par cette histoire; nous voulions en savoir plus. »
Ayant comme seul point de départ un nom de famille, Alicia Cook Sapene a lancé autant de bouteilles à la mer que possible dans le réseau de la Monnaie, communiquant notamment avec des experts de l’ACJB, du ministère de la Défense nationale et d’Anciens Combattants Canada.

RECONSTITUER L’HISTOIRE
La Monnaie a d’abord contacté Stephen Harris, Ph. D., de la direction Histoire et patrimoine des Forces armées canadiennes, ainsi que Mike Bechthold, Ph. D., directeur exécutif de l’ACJB. Ils ont rapidement fait savoir autour d’eux que la Monnaie était à la recherche de renseignements sur le jeune homme figurant dans la séquence vidéo du jour J. Quatre personnes ont ensuite fourni l’information manquante pour reconstituer l’histoire du soldat Baker : Marc Milner, Ph. D., historien de l’armée et de la marine canadienne associé à l’Université du Nouveau-Brunswick; Gary Silliker, ancien membre des Forces armées canadiennes; Bruce Morton, historien militaire amateur de Barrie, en Ontario; et Brandon Savage, enseignant à l’école secondaire Miramichi Valley au Nouveau-Brunswick.
M. Milner a fait une découverte très importante : en fouillant dans les archives militaires, il a trouvé deux initiales accolées au nom du soldat Baker – G. H. – et un numéro de matricule, F56627. Et comme les numéros de matricule commencent par une lettre correspondant au lieu où le soldat s’est enrôlé, on a pu confirmer, avec l’aide de M. Silliker, que la lettre « F » signifiait que le soldat G. H. Baker s’était enrôlé soit en Nouvelle-Écosse ou sur l’Île-du-Prince-Édouard. L’équipe a donc ensuite pu concentrer ses recherches dans ces deux provinces.
En s’appuyant sur cette information, M. Milner a consulté la base de données d’Anciens Combattants Canada pour obtenir la date de naissance et de décès de ce soldat. Il est né en Nouvelle-Écosse le 31 août 1923, et décédé le 23 juillet 2003, à South Brookfield, en Nouvelle-Écosse. Il avait donc survécu non seulement au débarquement de Normandie, mais aussi au reste de la guerre – et vécu une longue vie par la suite.
Grâce aux recherches de M. Milner et de M. Silliker, M. Morton a ensuite été en mesure de confirmer qu’un seul soldat du North Shore Regiment dénommé Baker avait débarqué à Juno Beach. C’était un bon indice que l’équipe avait trouvé le soldat Baker figurant dans la vidéo.
« C’était comme un casse-tête. On a assemblé toutes les pièces lentement, une à une, se rappelle Jamie Desrochers. Mais cette histoire était vraiment contagieuse : tout le monde faisait des pieds et des mains pour nous aider à identifier le soldat Baker. »
Finalement, M. Savage a consulté les registres d’inhumation de la Nouvelle-Écosse et trouvé la pierre tombale d’un certain George Herman Baker. Puis, en cherchant dans une base de données de nécrologies, il a déniché autre chose : le nom des membres de la famille du soldat Baker.

FAIRE LE LIEN ENTRE PASSÉ ET PRÉSENT
M. Savage a communiqué avec la fille du soldat Baker, Karen McLeod, qui habite à Liverpool, en Nouvelle-Écosse. À sa grande surprise, elle n’avait jamais vu les images filmées durant le débarquement à Juno Beach. Son père ne parlait jamais de la guerre; le film a donc révélé à Mme McLeod une tout autre facette de son père, qui lui était jusqu’alors inconnue.
« Quelle expérience exceptionnelle », indique Karen McLeod en se rappelant la première fois qu’elle a visionné les images du jour J. « Tout à coup, je vois mon père à l’âge de 20 ans, il y a 75 ans, assis juste là devant moi. C’est incroyable. »
Pour Mme McLeod, le dollar épreuve numismatique en argent est un hommage très touchant à son père et à tous ceux qui ont combattu durant la guerre. Elle est aussi reconnaissante envers la Monnaie de raconter l’histoire derrière ce moment emblématique.
« C’est important pour moi, parce que je suis sa fille, explique-t-elle. Mais je veux aussi que tout le monde sache combien la Seconde Guerre mondiale a été importante. Les gens sont allés se battre et plusieurs y ont perdu la vie – et ceux qui sont revenus à la maison ne voyaient plus la vie de la même façon. »
En comparant la séquence de film à des photos de son père dans la vingtaine, Karen McLeod a pu officiellement confirmer que le soldat qui recevait une tape d’encouragement et se retournait vers la caméra était effectivement son père. Peu après, le fils de Mme McLeod a aussi communiqué avec la Monnaie et révélé quelques autres pièces du casse-tête. Il avait conservé des photos de son grand-père prises après son enrôlement, ainsi que des médailles de service et des documents sur la guerre, qui ont servi à confirmer hors de tout doute l’identité du jeune homme s’apprêtant à débarquer sur la côte de la Normandie.

UN MOMENT MARQUANT DANS UNE CARRIÈRE
Pour les deux chefs de produits, la conception du dollar épreuve numismatique en argent 2019 était bien plus qu’un travail : c’était une mission. Elle a permis de faire la lumière sur un moment historique inconnu et de raconter une histoire qui n’avait encore jamais été racontée.
« Très peu d’anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale sont encore en vie; il devient donc de plus en plus difficile de raconter leur histoire et de réellement savoir comment c’était à l’époque, explique Jamie Desrochers. La pièce était déjà magnifique, mais maintenant, quand je la regarde, je pense toujours à l’histoire qu’il y a derrière. Elle m’a habité pendant plusieurs semaines. Il fallait qu’on la raconte à tout le monde. C’est sans contredit un grand moment de ma carrière. »
Alicia Cook Sapene abonde dans le même sens.
« Cette pièce a une signification beaucoup plus grande maintenant. Nous sommes passés d’un soldat emblématique à un véritable être humain, avec un nom et une famille, souligne-t-elle. Ce fut assurément l’une des expériences les plus gratifiantes que j’ai vécues depuis que je travaille à la Monnaie. »

